
Mercor, la startup fondée en 2023 par trois entrepreneurs de 22 ans, vient de lever 350 millions de dollars lors d'une série C, portant sa valorisation à 10 milliards de dollars. En moins de trois ans, cette plateforme de recrutement alimentée par l'IA est devenue un acteur incontournable pour les laboratoires d'intelligence artificielle en quête d'experts humains pour entraîner leurs modèles. Avec un chiffre d'affaires annualisé de 500 millions de dollars et plus de 30 000 contractuels rémunérés quotidiennement à hauteur de 1,5 million de dollars, Mercor incarne la nouvelle économie du travail à l'ère de l'IA générative.
En octobre 2025, Mercor a officiellement annoncé une levée de fonds de série C de 350 millions de dollars, menée par Felicis Ventures. Cette opération porte la valorisation de la startup à 10 milliards de dollars, soit cinq fois plus qu'en février 2025 lors de sa série B où elle était valorisée à 2 milliards de dollars. Parmi les investisseurs figurent également Benchmark, General Catalyst et le nouveau venu Robinhood Ventures.
Cette croissance fulgurante place Brendan Foody (CEO), Adarsh Hiremath (CTO) et Surya Midha (président du conseil), tous âgés de 22 ans, dans l'histoire comme les plus jeunes milliardaires autodidactes de la tech, surpassant même Mark Zuckerberg qui était devenu milliardaire à 23 ans.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : Mercor est passé d'un chiffre d'affaires annualisé (ARR) de 75 millions de dollars en février 2025 à 100 millions en mars, puis à 500 millions en septembre 2025. Cette trajectoire en fait l'une des startups à la croissance la plus rapide du secteur technologique, comparable à Cursor d'Anysphere qui a atteint les 500 millions d'ARR environ un an après le lancement de son produit principal.
La startup gère aujourd'hui plus de 30 000 contractuels à travers le monde, auxquels elle verse collectivement plus de 1,5 million de dollars par jour. Et malgré cette échelle impressionnante, Mercor reste rentable – un exploit rare dans l'univers des startups en hypercroissance.
Fondée en 2023 par trois anciens boursiers Thiel qui ont quitté Georgetown et Harvard, Mercor a initialement démarré comme une plateforme de recrutement automatisée utilisant l'IA pour connecter des ingénieurs freelance avec des startups. Le système automatisait le tri des CV, proposait des entretiens pilotés par l'IA et gérait même la paie.
Mais les fondateurs ont rapidement identifié une opportunité bien plus lucrative : les laboratoires d'IA comme OpenAI, Anthropic et Meta cherchaient désespérément des experts humains pour entraîner et affiner leurs modèles d'intelligence artificielle. Ces entreprises avaient besoin de scientifiques, médecins, avocats, banquiers et autres professionnels hautement qualifiés capables de fournir des connaissances spécialisées que les machines seules ne pouvaient pas capturer.
Le timing de Mercor s'est avéré parfait. En juin 2025, Meta a investi 14,3 milliards de dollars pour acquérir 49 % de Scale AI, le principal concurrent de Mercor dans le domaine de l'étiquetage de données et de l'entraînement d'IA. Alexandr Wang, le fondateur et alors PDG de Scale AI, a quitté son poste pour rejoindre Meta dans le cadre de cet accord.
Cette acquisition a soulevé des préoccupations majeures concernant la neutralité de Scale AI. Plusieurs laboratoires d'IA majeurs, dont OpenAI et Google DeepMind, auraient coupé leurs liens avec Scale AI suite à cet investissement, craignant des conflits d'intérêts. Comme l'a déclaré Adarsh Hiremath à Forbes : "Il n'arrive pas souvent dans les startups que votre plus gros concurrent soit torpillé du jour au lendemain."
Cette situation a créé un vide de marché que Mercor a rapidement comblé, attirant ces clients de premier plan qui cherchaient des alternatives fiables.
Mercor propose une plateforme complète qui permet aux laboratoires d'IA et aux entreprises technologiques de :
Selon des estimations externes, Mercor facturerait environ 30 % de frais de placement aux employeurs, bien que l'entreprise ne publie pas officiellement ses tarifs.
Les professionnels s'inscrivent sur la plateforme en complétant un entretien de 20 minutes piloté par l'IA qui évalue leurs compétences et crée un profil. Ils peuvent ensuite être mis en relation avec des opportunités à temps plein, partiel ou à l'heure.
Les rémunérations peuvent atteindre jusqu'à 200 dollars de l'heure pour les experts les plus qualifiés, notamment ceux possédant des doctorats, des diplômes en droit ou une expérience à Wall Street. L'Inde reste la plus grande source de talents de Mercor, suivie par les États-Unis, tandis que l'Europe et l'Amérique du Sud connaissent une croissance rapide.
Ce qui distingue Mercor de ses concurrents comme ZipRecruiter, Otta ou même Scale AI, c'est son focus sur des tâches d'expertise à haute valeur ajoutée plutôt que sur du travail d'étiquetage de données standardisé. La plateforme utilise des algorithmes propriétaires d'apprentissage par renforcement pour faire correspondre les experts à des tâches d'entraînement d'IA hautement spécialisées avec une grande précision.
Lors de TechCrunch Disrupt 2025, Brendan Foody a révélé une dimension stratégique fascinante du modèle de Mercor. Plutôt que de signer des contrats coûteux avec les entreprises pour accéder à leurs données propriétaires, les laboratoires d'IA font désormais appel aux anciens employés seniors de ces entreprises via Mercor pour obtenir leur connaissance industrielle.
"Il y a un argument selon lequel Goldman Sachs n'aime pas l'idée d'avoir des modèles capables d'automatiser leur chaîne de valeur", a expliqué Foody. "Cela change définitivement la dynamique concurrentielle, et c'est en partie pour cette raison que les laboratoires ont besoin de nous. Leurs clients ne veulent pas leur donner des données pour automatiser de larges portions de leurs chaînes de valeur, donc ils doivent embaucher des contractuels qui ont précédemment travaillé chez ces entreprises."
Foody envisage un avenir où Mercor versera des dizaines de milliards de dollars par jour aux contractuels, alors que l'entraînement des machines devient une catégorie de travail dominante. Pour lui, Mercor n'élimine pas les emplois mais identifie les tâches que les humains devraient effectuer dans une économie pilotée par l'IA – des emplois que l'IA ne peut pas accomplir, comme l'entraînement des modèles d'IA, la gestion de décisions complexes ou les rôles créatifs et stratégiques.
Cependant, cette vision suscite des critiques. Pour certains observateurs, ce modèle ressemble à une économie de gig dystopique où les travailleurs qualifiés deviennent des prestataires précaires au service des géants de l'IA. D'autres s'inquiètent du fait que les connaissances spécialisées des industries établies "s'échappent par la porte de derrière" via d'anciens employés, pour être ultimement utilisées afin d'automatiser ces mêmes secteurs.
Mercor a fait face à certaines critiques concernant l'authenticité des postes proposés et l'utilisation des entretiens menés par l'IA. Un article critique publié sur Medium en 2025 a soulevé des questions sur les "faux emplois" et la collecte de données. Bien que Mercor ait publié des politiques claires stipulant qu'elle "n'utilisera jamais vos données d'entretien pour entraîner des modèles d'IA" et qu'elle ne vendra pas les données d'entretien ou de CV à des tiers, ces préoccupations persistent dans certains cercles.
En septembre 2025, Scale AI a intenté un procès à Mercor pour détournement de secrets commerciaux. Scale AI allègue qu'un ancien employé ayant rejoint Mercor aurait "volé plus de 100 documents confidentiels concernant les stratégies clients de Scale et d'autres informations propriétaires". Cette bataille juridique illustre l'intensité de la concurrence dans ce secteur en pleine effervescence.
La fortune de Mercor est intrinsèquement liée à quelques laboratoires d'IA. Même Sam Altman, PDG d'OpenAI, a averti que nous sommes dans une bulle de l'IA. Si cette bulle éclate ou si les besoins en entraînement humain diminuent avec les progrès de l'IA autonome, le modèle de Mercor pourrait être remis en question.
Par ailleurs, de grands acteurs comme Uber se positionnent sur ce marché. Le PDG d'Uber, Dara Khosrowshahi, a annoncé cette semaine que l'entreprise deviendrait une "plateforme de travail", offrant des missions d'entraînement d'IA. OpenAI a également lancé sa propre plateforme de recrutement, ce qui pourrait conduire le géant de l'IA à créer son propre service d'entraînement par renforcement alimenté par des experts humains.
Mercor ambitionne d'étendre sa plateforme au-delà du secteur technologique vers des industries spécialisées comme la santé et les services juridiques, où l'expertise est indispensable et les enjeux sont les plus élevés. L'entreprise développe également de nouveaux marchés de recrutement alimentés par l'IA conçus pour faire évoluer la mise en relation d'experts à l'échelle mondiale.
Les nouveaux investissements seront consacrés à trois domaines prioritaires :
Mercor a également annoncé qu'elle développait davantage d'infrastructures logicielles pour l'apprentissage par renforcement – une méthode d'entraînement où les décisions d'un modèle ou d'un agent sont vérifiées ou contestées, lui permettant d'intégrer des retours et de s'améliorer au fil du temps.
Pour faire passer l'entreprise au niveau supérieur, Mercor a récemment nommé Sundeep Jain, ancien directeur produit chez Uber avec des décennies d'expérience, en tant que premier président. Cette embauche stratégique apporte une expérience de leadership mature à une équipe de fondateurs très jeunes mais extraordinairement ambitieux.
L'ascension vertigineuse de Mercor incarne les promesses et les tensions de l'économie de l'IA. D'un côté, la startup offre des opportunités de revenus substantiels à des professionnels qualifiés du monde entier, démocratisant l'accès à un travail intellectuel bien rémunéré. De l'autre, elle soulève des questions fondamentales sur l'avenir du travail, la propriété intellectuelle et le rôle des humains dans un monde de plus en plus automatisé.
Comme l'a reconnu Foody lui-même : "Il y a des choses que nous avons très bien faites, mais il y en a beaucoup où nous avons eu de la chance. Comme le fait d'être nés au bon moment, d'être parfaitement positionnés pour saisir l'un des vides de marché les plus excitants de l'histoire."
Reste à savoir si ce modèle est durable à long terme ou s'il représente simplement une phase transitoire dans l'évolution de l'intelligence artificielle. Une chose est certaine : Mercor a réussi à se positionner au cœur d'une transformation majeure de l'économie mondiale, et son parcours continuera d'être observé de près par les investisseurs, les travailleurs et les analystes du secteur.
Sources :
Le chiffre d'affaires annuel récurrent (ARR) est une métrique clé pour les entreprises SaaS et les startups. Il représente la valeur annualisée des revenus récurrents d'une entreprise.
L'apprentissage par renforcement est une méthode d'entraînement d'IA où un modèle apprend par essai-erreur en recevant des récompenses ou des pénalités pour ses actions.
Les Thiel Fellows sont des bénéficiaires d'une bourse de 100 000 dollars créée par Peter Thiel, co-fondateur de PayPal. Ce programme encourage de jeunes talents prometteurs (généralement âgés de moins de 23 ans) à quitter l'université pour poursuivre des projets entrepreneuriaux, scientifiques ou technologiques.
L'étiquetage de données est le processus par lequel des humains annotent, catégorisent ou classifient des données brutes pour entraîner des modèles d'apprentissage automatique. Par exemple, identifier des objets dans des images, transcrire des conversations ou évaluer la qualité des réponses d'une IA.