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Le lundi 17 novembre 2025 marque un tournant dans la stratégie économique française. Pour la première fois depuis sa création en 2018, le sommet Choose France ne s'adresse pas aux investisseurs étrangers mais se consacre exclusivement aux entreprises françaises qui choisissent d'investir sur leur propre territoire.
À la Maison de la Chimie à Paris, près de 200 dirigeants d'entreprises annoncent 30,4 milliards d'euros d'investissements répartis dans 151 projets. Un virage stratégique qui intervient dans un contexte géopolitique tendu, où la France tente de reprendre le contrôle de son destin industriel face à l'hégémonie des géants technologiques mondiaux.
Ce sommet édition France arrive à un moment charnière. Le calendrier ne doit rien au hasard : il intervient alors que le budget est en débat à l'Assemblée nationale et que les députés ont adopté une série de mesures alourdissant la fiscalité des entreprises. Les organisations patronales ont exprimé leur "immense inquiétude" face à 53 milliards d'euros de hausses de prélèvements, tandis que la dynamique de réindustrialisation amorcée depuis 2022 semble ralentir.
Pourtant, la France reste pour la sixième année consécutive le pays européen le plus attractif pour les investissements étrangers. Ce paradoxe interroge : comment maintenir cette attractivité tout en augmentant les prélèvements obligatoires ? La réponse du gouvernement passe par la valorisation des réussites nationales dans des secteurs stratégiques comme la transition écologique, l'intelligence artificielle et le numérique.
Le véritable enjeu de ce Choose France version domestique se dessine en creux : alors que les géants américains investissent des sommes colossales dans l'infrastructure IA, la France peut-elle vraiment prétendre à l'indépendance technologique ? En 2025, Amazon, Microsoft, Google et Meta ont engagé environ 380 milliards de dollars dans les datacenters et l'infrastructure IA. Face à ces montants vertigineux, les 30,4 milliards d'euros annoncés ce lundi apparaissent comme une goutte d'eau dans l'océan de la course mondiale à l'intelligence artificielle.
La stratégie des GAFAM révèle une logique de domination par l'infrastructure. Microsoft investit 80 milliards de dollars dans des datacenters optimisés pour l'IA durant son exercice fiscal 2025, tandis qu'Amazon prévoit 100 milliards de dollars en 2025, dépassant largement Microsoft et Google. Ces investissements massifs visent à contrôler toute la chaîne de valeur : des puces aux modèles d'IA, en passant par le cloud computing.
Le sommet Choose France de mai 2025 avait d'ailleurs illustré cette dynamique avec trois investissements d'ampleur dans l'IA totalisant plus de 20 milliards d'euros, notamment par Brookfield et MGX en partenariat avec Nvidia et Mistral. Mais qui contrôle vraiment ces infrastructures ? L'exemple de Mistral AI, présentée comme le champion français de l'IA, révèle une dépendance technologique préoccupante : ses fondateurs viennent tous de Google et Meta, et l'entreprise s'appuie sur des contrats avec Microsoft pour son développement.
L'édition française de Choose France met en lumière trois modèles économiques qui façonnent notre époque, incarnés par des entreprises emblématiques absentes ou présentes de façon indirecte dans les discussions.
LVMH, leader mondial du luxe, illustre la résilience d'un modèle économique basé sur le savoir-faire et la créativité. Le groupe prévoit 16 000 recrutements en France en 2025, démontrant qu'il existe encore des secteurs où l'excellence européenne résiste à la concurrence mondiale. LVMH incarne un capitalisme patrimonial, ancré territorialement, où la marque France reste un actif stratégique majeur.
Tesla représente le modèle disruptif de l'innovation technologique. Bien qu'Elon Musk ait exprimé en 2023 sa confiance dans des investissements significatifs en France, Tesla consacre plusieurs milliards de dollars par an à l'IA, notamment dans l'achat de GPU Nvidia pour améliorer sa conduite autonome. Le constructeur automobile illustre la convergence entre industrie traditionnelle et révolution numérique, où le véhicule devient un ordinateur sur roues.
Nvidia, absent du sommet français mais omniprésent dans l'écosystème de l'IA, incarne la nouvelle économie de l'infrastructure numérique. Nvidia enregistre une progression de 240% de sa capitalisation, alimentée par la demande massive pour ses processeurs spécialisés en IA. L'entreprise ne vend plus simplement des puces, mais le système nerveux de l'économie numérique mondiale.
Le sommet Choose France Édition France soulève une interrogation fondamentale sur notre rapport à la mondialisation. Les investissements massifs des fournisseurs de cloud américains lors du sommet 2024 ont posé la question de savoir si l'on peut conjuguer la souveraineté technologique et les investissements étrangers dans le cloud computing. Cette tension révèle un dilemme : l'indépendance économique est-elle encore possible à l'ère de l'interdépendance technologique ?
Les 30,4 milliards d'investissements annoncés ce lundi s'inscrivent dans une logique défensive de préservation du tissu industriel français. Mais cette stratégie peut-elle suffire face à la concentration oligopolistique du secteur technologique ? Quand Amazon, Microsoft et Google cumulent à eux seuls plus de 300 milliards de dollars d'investissements annuels dans l'IA, la notion même de "champion national" devient-elle obsolète ?
Le secteur de l'intelligence artificielle révèle une réalité dérangeante : les écosystèmes numériques ne connaissent pas de frontières, et la souveraineté passe désormais moins par le contrôle territorial que par la maîtrise des standards technologiques. La France peut-elle vraiment développer une alternative crédible aux GAFAM, ou doit-elle accepter une forme de vassalité numérique tempérée par quelques niches d'excellence ?
L'évolution du commerce électronique cristallise ces tensions. Amazon domine le marché européen avec une infrastructure logistique et technologique inégalée, fruit d'investissements massifs dans l'automatisation et l'IA. Les plateformes françaises, malgré leurs efforts, peinent à rivaliser sur le terrain de l'innovation technologique. Le consommateur français, pourtant attaché aux discours sur la souveraineté, reste fidèle aux plateformes américaines pour leur efficacité et leur prix.
Cette schizophrénie collective révèle une vérité inconfortable : nous voulons la souveraineté économique, mais refusons d'en payer le prix. Choose France Édition France célèbre les entreprises qui investissent dans l'Hexagone, mais ces mêmes entreprises doivent acheter leurs serveurs chez AWS, leurs puces chez Nvidia, et leurs solutions d'IA chez Microsoft ou Google.
Le sommet de ce lundi interroge finalement notre conception même de la réussite économique. Est-ce la capacité à générer des licornes valorisées à plusieurs milliards ? La création d'emplois durables et qualifiés ? Le contrôle des infrastructures critiques ? La préservation d'un savoir-faire artisanal comme dans le luxe ?
Les 9 milliards d'euros de nouveaux projets annoncés se répartissent dans des secteurs variés comme le tourisme, le numérique, la santé ou encore les transports. Cette diversification témoigne d'une certaine maturité : plutôt que de miser tout sur la tech, la France cultive plusieurs pôles d'excellence. LVMH et le luxe, l'aéronautique avec Airbus, la santé pharmaceutique, l'énergie nucléaire... autant de secteurs où l'expertise française reste reconnue mondialement.
Mais cette stratégie de niches d'excellence suffira-t-elle dans un monde où les plateformes numériques américaines et chinoises structurent de plus en plus les échanges économiques ? L'histoire économique nous enseigne que le contrôle des infrastructures critiques détermine qui capte la valeur. Or, dans l'économie numérique, ces infrastructures sont les clouds, les puces et les algorithmes d'IA, trois domaines dominés par une poignée d'entreprises américaines.
Choose France Édition France ne doit pas être qu'une opération de communication. Il doit marquer le début d'une réflexion stratégique sur notre modèle économique. Comment financer l'innovation sans plomber les entreprises par la fiscalité ? Comment attirer les talents dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée ? Comment préserver notre tissu industriel tout en acceptant la nécessité de coopérer avec les géants étrangers ?
La réponse ne peut être purement nationale. L'échelle européenne devient indispensable pour peser face aux mastodontes américains et chinois. Mais l'Union européenne peine à définir une stratégie industrielle cohérente, chaque pays défendant ses champions nationaux.
Ce sommet du 17 novembre 2025 restera peut-être dans l'histoire comme un moment charnière : celui où la France a tenté de reprendre le contrôle de son destin économique, à l'heure où les règles du jeu étaient déjà écrites ailleurs. Entre volontarisme politique et réalisme économique, entre souveraineté affichée et dépendances structurelles, l'avenir nous dira si ces 30,4 milliards auront suffi à faire basculer l'histoire... ou s'ils n'auront été qu'un chant du cygne avant l'inéluctable intégration dans un ordre numérique mondial dominé par quelques géants technologiques.
Choose France est un événement créé en 2018 pour attirer les investissements étrangers en France. L'édition du 17 novembre 2025 marque une rupture historique : pour la première fois, elle se concentre exclusivement sur les entreprises françaises qui investissent dans l'Hexagone. Cette orientation témoigne d'une volonté de réindustrialisation nationale dans un contexte de tensions budgétaires et de ralentissement économique. Le gouvernement tente ainsi de rassurer le patronat français tout en valorisant la capacité des acteurs nationaux à construire la souveraineté économique du pays.
Les géants technologiques américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) investissent des montants colossaux – environ 380 milliards de dollars en 2025 – dans les infrastructures d'intelligence artificielle, les datacenters et le développement de puces. Cette course aux armements technologiques crée une dépendance structurelle : même les champions français de l'IA comme Mistral s'appuient sur les clouds de Microsoft et les puces de Nvidia. Cette asymétrie interroge la notion même de souveraineté à l'ère numérique, où le contrôle des infrastructures critiques échappe largement aux États européens.
La souveraineté économique consiste pour un pays à ne pas dépendre d’autres nations pour des ressources, technologies ou productions importantes.
Un investissement confirmé est un projet financier déjà validé par une entreprise et qui sera officiellement réalisé sur le territoire, contrairement à une simple intention d’investissement.