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L'explosion de l'intelligence artificielle et du cloud computing force l'industrie tech à repenser radicalement l'emplacement de ses centres de données. Entre les profondeurs marines et l'orbite terrestre, une révolution silencieuse redessine l'avenir du numérique mondial.
La Chine multiplie les initiatives audacieuses en matière de datacenters sous-marins.
En octobre 2025, le pays a immergé à 30 mètres de profondeur dans la mer Jaune au large de Shanghai un centre de données expérimental développé par Highlander (Hailanyun Technology), comprenant 198 racks de serveurs haute performance capables d'entraîner un modèle comme GPT-3.5 en une journée. Cette infrastructure, alimentée à plus de 95% par l'énergie éolienne offshore, marque une rupture technologique majeure.
Mais ce n'est qu'un début. Au large de l'île de Hainan, un datacenter colossal de 1 433 tonnes a été immergé à 35 mètres de fond, avec chaque module pesant 1 300 tonnes et capable de traiter plus de quatre millions d'images haute définition en 30 secondes, équivalant à 60 000 ordinateurs travaillant simultanément. Le projet prévoit le déploiement d'une centaine de modules d'ici 2030.
Les avantages sont considérables et répondent aux défis énergétiques actuels :
Refroidissement naturel gratuit : L'eau de mer agit comme dissipateur thermique naturel, réduisant les besoins énergétiques liés au refroidissement à moins de 10% du total, soit une réduction globale de la consommation d'énergie de près de 23%. Traditionnellement, les datacenters terrestres consomment jusqu'à 40% de leur énergie uniquement pour le refroidissement.
Économie d'eau douce : En 2025, les centres de données consomment 1 300 milliards de litres d'eau, soit autant que 26 millions de personnes en une année, un chiffre qui pourrait tripler d'ici la fin de la décennie. Les installations sous-marines éliminent complètement ce problème.
Optimisation de l'espace : Le datacenter géant chinois permet de libérer 68 000 m² de surface que les 100 modules occuperaient sur la terre ferme.
Performance énergétique record : Le datacenter de Shanghai vise un PUE (Power Usage Effectiveness) de 1,15, alors que l'objectif national chinois pour 2025 est fixé à 1,25, plaçant cette installation parmi les plus performantes au monde.
Microsoft a popularisé l'idée avec son projet expérimental Natick lancé en 2018, qui a immergé un datacenter dans les eaux écossaises durant deux ans. Si l'expérience a démontré la faisabilité technique, Microsoft n'a pas annoncé de suite concrète à Natick, le prototype ayant rempli sa mission de démonstration sans déboucher sur un modèle commercial.
Malgré les promesses écologiques, les experts tirent la sonnette d'alarme sur plusieurs aspects :
Pollution thermique localisée : Un professeur en ingénierie électrique de l'Université de Californie explique qu'un projet de 500 kW équivaut à placer sous la mer quelque 300 radiateurs d'appoint, ce qui pourrait déstabiliser les écosystèmes fragiles, peu profonds et écologiquement denses.
Impact sur la biodiversité : La chaleur dégagée pourrait attirer certaines espèces et en repousser d'autres, avec des recherches encore insuffisantes sur ces impacts.
Défis techniques : L'étanchéité, la protection contre la corrosion, la vulnérabilité aux attaques par ondes sonores en milieu marin, et la complexité du raccordement internet entre un centre en mer et le continent représentent des obstacles majeurs.
Parallèlement aux expérimentations sous-marines, une course vers l'espace s'accélère avec plusieurs acteurs majeurs.
Axiom Space : La société américaine a annoncé le lancement de ses deux premiers nœuds de datacenter orbital (ODC) en orbite terrestre basse d'ici fin 2025, qui fourniront stockage, traitement de données sécurisé et solutions d'IA/ML directement aux satellites et constellations. Ces nœuds feront partie du réseau de relais optique de Kepler Communications avec des liaisons optiques à 2,5 Gbps.
Starcloud : Cette startup soutenue par NVIDIA prévoit de construire un datacenter orbital de 5 gigawatts avec des panneaux solaires et de refroidissement d'environ 4 kilomètres de largeur et de longueur. L'entreprise projette que les coûts énergétiques dans l'espace seront 10 fois moins chers que les options terrestres, même en incluant les dépenses de lancement. Un satellite équipé d'un GPU NVIDIA H100 devait être lancé en novembre 2025 pour tester la fonctionnalité en orbite.
ADA Space (Chine) : Le 14 mai 2025, l'entreprise chinoise a déployé 12 satellites parmi les premiers au monde à offrir un service d'infrastructure de cloud orbital, non seulement pour transférer les données, mais aussi pour les stocker dans des datacenters embarqués. Ces satellites offrent une capacité de calcul de 5 péta opérations par seconde avec une capacité de stockage de 30 téraoctets. Le projet vise à déployer une constellation de 2 800 satellites.
SpaceX : Elon Musk a confirmé que SpaceX prévoit de construire des datacenters orbitaux en développant ses satellites Starlink V3 de nouvelle génération avec une capacité térabit par satellite et des lancements prévus dès 2026.
Énergie solaire illimitée : L'exposition constante au soleil en orbite signifie une énergie solaire quasi infinie, sans besoin de batteries ou d'alimentation de secours.
Refroidissement passif : La chaleur générée est passivement radiée vers le puits thermique infini de l'espace où la température est d'environ -270°C, en utilisant des plaques noires déployables de 1m carré.
Traitement en temps réel : Le traitement de données en temps réel dans l'espace offre d'immenses avantages pour les applications critiques comme la détection d'incendies de forêt, la réponse aux signaux de détresse, et l'observation terrestre.
Latence réduite pour les satellites : Après une observation, un satellite pourrait transmettre ses données brutes à un centre de stockage et de traitement orbital directement, évitant le rapatriement vers la Terre.
Coûts de lancement : Un datacenter de 5 GW nécessiterait environ 100 lancements pour les GPU et 100 autres pour les panneaux solaires et radiateurs. La viabilité économique repose sur la diminution des coûts de lancement spatial.
Risque de collision : Avec plus de 7 500 satellites actifs en orbite, l'augmentation des collisions représente un défi réglementaire majeur.
Maintenance complexe : La réparation et la maintenance d'équipements en orbite restent extrêmement complexes et coûteuses.
Pour les startups tech : L'infrastructure de cloud orbital ouvre de nouveaux marchés pour les applications nécessitant un traitement en temps réel des données spatiales : observation terrestre, prévisions météorologiques locales, détection de types de cultures, cartographie 3D par radar.
Pour les PME : Les coûts de refroidissement représentant une part majeure des dépenses opérationnelles, les solutions sous-marines et spatiales pourraient offrir des économies substantielles à moyen terme, libérant des budgets pour l'innovation.
Pour les grandes entreprises : La souveraineté numérique devient un enjeu stratégique. Le projet de Hainan bénéficie de législations favorables permettant à des entreprises étrangères de posséder des infrastructures de télécommunications et de datacenters.
Réduction de l'empreinte carbone : Les datacenters spatiaux promettent des économies de CO2 10 fois supérieures sur leur durée de vie comparé aux datacenters terrestres.
Nouvelle géopolitique numérique : La Chine investit massivement dans ces technologies pour renforcer sa position dans la course à la souveraineté numérique mondiale, créant une pression concurrentielle pour les entreprises occidentales.
Résilience améliorée : Les datacenters orbitaux peuvent fonctionner indépendamment des infrastructures terrestres, améliorant la résilience et la sécurité des réseaux maillés émergents en orbite.
La Chine a durci sa réglementation : depuis mars 2025, les nouveaux centres doivent couvrir 80% de leur consommation par des certificats verts, aligné avec l'objectif de neutralité carbone d'ici 2060.
Les défis réglementaires pour l'espace concernent principalement la gestion de l'espace orbital, les débris spatiaux et les normes de sécurité internationale.
Le PDG de Starcloud prédit que "dans 10 ans, presque tous les nouveaux datacenters seront construits dans l'espace". Cette vision, bien qu'optimiste, reflète une tendance profonde.
Shanghai ambitionne de développer une industrie du cloud et du calcul intelligent pesant plus de 28 milliards de dollars d'ici 2027, avec une capacité de calcul totale de 200 exaFLOPS. Plusieurs entreprises collaborent déjà pour développer un cluster de datacenters sous-marins de 500 MW.
Pour les entrepreneurs, trois enseignements clés :
Les datacenters orbitaux bénéficient d'une énergie solaire quasi illimitée, d'un refroidissement passif gratuit grâce au vide spatial à -270°C, et permettent le traitement en temps réel des données satellites sans rapatriement vers la Terre. Ils réduisent de 90% l'empreinte au sol et promettent des coûts énergétiques 10 fois inférieurs.
Les principaux avantages sont : élimination totale de la consommation d'eau douce (économisant l'équivalent de la consommation de 26 millions de personnes), réduction de 23% de la consommation énergétique, libération de surfaces terrestres (68 000 m² économisés pour 100 modules), et alimentation possible à plus de 95% par énergies renouvelables offshore.
Le PUE (Power Usage Effectiveness) mesure l'efficacité énergétique d'un datacenter. Un PUE de 1,15 (objectif des datacenters sous-marins chinois) signifie que pour 1 kW utilisé par les serveurs, seulement 0,15 kW est nécessaire pour le refroidissement et les infrastructures, contre 0,50 kW ou plus pour les installations classiques.
Les datacenters sous-marins excellent pour le stockage massif proche des côtes, avec refroidissement aquatique et connexion câblée rapide. Les datacenters spatiaux optimisent le traitement en temps réel de données satellites, l'observation terrestre, et bénéficient d'énergie solaire illimitée. Les deux réduisent l'empreinte carbone mais répondent à des usages complémentaires.