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L'Union européenne a franchi le vendredi 5 décembre 2025 une étape décisive dans sa politique de régulation des géants du numérique en infligeant une amende de 120 millions d'euros à X, le réseau social détenu par le milliardaire Elon Musk.
Cette sanction constitue la première amende prononcée par la Commission européenne dans le cadre du règlement sur les services numériques (DSA), marquant ainsi un précédent historique dans l'application de cette législation européenne phare entrée en vigueur il y a deux ans.
Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk en octobre 2022 pour la somme colossale de 44 milliards de dollars, la plateforme rebaptisée X a multiplié les transformations controversées. La Commission européenne a ouvert une enquête approfondie dès 2023 pour examiner la conformité du réseau social aux nouvelles exigences européennes en matière de transparence et de protection des utilisateurs.
Le règlement sur les services numériques, adopté le 19 octobre 2022 et pleinement applicable depuis le 17 février 2024 pour l'ensemble des plateformes, impose des obligations renforcées aux très grandes plateformes en ligne comptant plus de 45 millions d'utilisateurs actifs mensuels dans l'Union européenne. X figure parmi les 19 plateformes et moteurs de recherche soumis à cette surveillance stricte depuis août 2023, aux côtés de géants comme Facebook, Instagram, TikTok, YouTube ou Amazon Store.
La sanction de 120 millions d'euros prononcée par la Commission européenne sanctionne trois manquements distincts aux obligations du DSA, tous notifiés à X en juillet 2024.
L'infraction principale concerne le système de certification par coches bleues, qui a subi une transformation radicale sous l'ère Musk. Historiquement, ces badges de vérification étaient attribués gratuitement par l'ancien Twitter à des utilisateurs au terme d'un processus rigoureux vérifiant leur identité, leur authenticité et leur notoriété. Ce système permettait aux utilisateurs d'identifier facilement les comptes officiels de personnalités publiques, d'organisations gouvernementales, de journalistes ou d'entreprises, protégeant ainsi contre les usurpations d'identité et la désinformation.
Après le rachat de la plateforme, Elon Musk a profondément modifié ce système en novembre 2022 en réservant les coches bleues aux abonnés payants de Twitter Blue (devenu X Premium), sans exigence de vérification d'identité ou de notoriété. Cette décision a créé une confusion considérable : les utilisateurs ne peuvent plus distinguer les comptes véritablement authentifiés des simples abonnés payants, créant un terrain fertile pour les escroqueries, les manipulations et les usurpations d'identité.
Bruxelles estime que cette conception trompeuse expose les utilisateurs européens à des risques significatifs. Des exemples concrets illustrent ce danger : lors du conflit au Soudan, un faux compte certifié s'est fait passer pour les Forces de soutien rapide (RSF), annonçant faussement la mort de leur chef. Ce message a été vu 1,7 million de fois avant que le compte ne soit supprimé. Au Kenya, plusieurs faux comptes certifiés ont usurpé l'identité de la chaîne Citizen TV Kenya pour diffuser de fausses informations, notamment sur le décès présumé d'une personnalité médiatique.
La deuxième infraction concerne le manque de transparence autour des publicités diffusées sur la plateforme. Le DSA impose aux grandes plateformes de fournir des informations claires et accessibles sur les contenus sponsorisés, permettant aux utilisateurs et aux chercheurs de comprendre qui finance les publicités et selon quels critères elles sont ciblées.
X ne respecte pas ces obligations de transparence, empêchant ainsi le public et les chercheurs indépendants d'examiner les risques potentiels liés à la publicité en ligne, notamment en matière de manipulation de l'opinion publique, de désinformation ou de ciblage abusif de populations vulnérables. Cette opacité compromet la capacité des régulateurs et des chercheurs à surveiller efficacement les pratiques publicitaires de la plateforme.
La troisième infraction porte sur le non-respect de l'obligation d'accès aux données publiques par des chercheurs agréés. L'article 40 du DSA impose aux très grandes plateformes de fournir aux chercheurs accrédités un accès facilité à leurs données publiques afin de permettre des études indépendantes sur les risques systémiques posés par ces services numériques.
X a mis en place des obstacles considérables empêchant cet accès. Les conditions d'utilisation de la plateforme interdisent explicitement aux chercheurs éligibles d'accéder de manière indépendante aux données publiques, y compris par des méthodes d'extraction automatique (scraping). De plus, les procédures mises en place par X pour demander l'accès aux données imposent des barrières inutiles et disproportionnées, compromettant efficacement la recherche sur plusieurs risques systémiques dans l'Union européenne, tels que la propagation de la désinformation, l'amplification de discours haineux ou les ingérences étrangères dans les processus démocratiques.
La vice-présidente de la Commission européenne chargée du numérique, Henna Virkkunen, a défendu le montant de la sanction face aux critiques. Théoriquement, la Commission aurait pu infliger pour chacune des trois infractions constatées une amende pouvant atteindre 6 % du chiffre d'affaires mondial annuel de la plateforme, soit potentiellement plusieurs milliards d'euros.
La responsable européenne a expliqué que l'amende de 120 millions d'euros a été calculée en tenant compte de la nature des infractions, de leur gravité en termes d'utilisateurs de l'Union européenne concernés, et de leur durée. Bruxelles considère ce montant comme proportionné et adapté aux manquements constatés lors de cette première procédure. Henna Virkkunen a néanmoins rappelé que la Commission n'est pas là pour imposer les amendes les plus élevées possibles, mais pour garantir le respect des lois européennes sur le numérique.
X dispose maintenant de délais stricts pour se conformer aux obligations du DSA : 60 jours ouvrables pour respecter l'article 25 concernant les coches bleues, et 90 jours ouvrables pour présenter un plan d'action détaillé sur la manière dont la plateforme agira pour respecter les articles 39 et 40 relatifs à la transparence publicitaire et à l'accès aux données. En cas d'inaction, l'entreprise s'expose à des pénalités périodiques supplémentaires qui viendraient s'ajouter à l'amende initiale.
Cette sanction intervient dans un contexte géopolitique particulièrement tendu entre l'Union européenne et les États-Unis. Avant même l'officialisation de la décision, le vice-président américain JD Vance avait vivement critiqué la démarche européenne sur X, déclarant que l'Union européenne devrait défendre la liberté d'expression au lieu de s'en prendre à des entreprises américaines. Elon Musk avait immédiatement remercié Vance pour son soutien.
Le secrétaire d'État américain Marco Rubio est allé plus loin en qualifiant cette amende d'attaque contre le peuple américain par des gouvernements étrangers, estimant que la sanction ne visait pas seulement X mais l'ensemble des plateformes technologiques américaines. Ces réactions illustrent les tensions croissantes entre Washington et Bruxelles concernant la régulation des géants de la technologie.
L'administration Trump a multiplié cette année les critiques contre les lois européennes encadrant les abus des géants technologiques, les accusant de cibler délibérément les champions américains. Fin novembre 2024, des responsables américains en visite à Bruxelles ont même proposé une forme de marchandage commercial : assouplir les lois européennes sur le numérique en échange d'une baisse des droits de douane américains sur l'acier européen. Cette proposition a été immédiatement rejetée par les responsables européens, qui ont réaffirmé le droit souverain de l'Union européenne à adopter et appliquer ses propres lois.
Face aux accusations de censure, la vice-présidente Henna Virkkunen a fermement répondu que l'amende contre X n'a rien à voir avec une quelconque censure de la liberté d'expression. Elle a souligné que le règlement sur les services numériques ne régule pas les contenus eux-mêmes, mais les services et systèmes qui mettent ces contenus à disposition des utilisateurs. Le DSA impose des obligations de transparence, de modération des contenus illicites et de protection des utilisateurs, sans porter atteinte à la liberté d'expression légitime.
Cette position a été largement saluée par les États membres et les responsables européens. La ministre française du Numérique, Anne Le Hénanff, a qualifié cette décision d'historique, affirmant que l'Europe prouve ainsi qu'elle peut passer de la parole aux actes. Martin Ajdari, président du régulateur français Arcom, a abondé dans le même sens, considérant que cette première sanction adresse un signal déterminé à X comme à l'ensemble des plateformes susceptibles d'enfreindre le règlement sur les services numériques.
La ministre belge du Numérique, Vanessa Matz, a également salué cette décision qu'elle considère cruciale pour la protection des utilisateurs européens contre les pratiques trompeuses et les contenus illicites en ligne. Elle a souligné qu'il est primordial de mettre en œuvre pleinement les cadres réglementaires existants avant d'envisager toute révision, et que cette sanction envoie un signal clair : les plateformes doivent respecter leurs obligations ou s'exposer à des conséquences financières et juridiques lourdes.
La sanction de 120 millions d'euros ne porte que sur les trois infractions notifiées en juillet 2024. Cependant, l'Union européenne a élargi entre-temps son enquête sur X à d'autres soupçons de non-respect de ses obligations, notamment concernant la lutte contre les contenus illégaux et la désinformation.
Henna Virkkunen a précisé que ces investigations se poursuivent activement et qu'elle s'attend à ce qu'elles soient bouclées plus rapidement que la première procédure. Une enquête distincte examine également le fonctionnement des algorithmes de recommandation de la plateforme, qui peuvent amplifier certains contenus de manière opaque et potentiellement manipulatrice. Ces nouveaux dossiers pourraient aboutir à des sanctions supplémentaires dans les mois à venir.
En cas de violations graves et répétées du DSA, les plateformes peuvent se voir interdire leurs activités sur le marché européen, une mesure ultime qui illustre la détermination de l'Union européenne à faire respecter ses règles. Pour l'instant, cette option n'a pas été évoquée pour X, mais elle demeure dans l'arsenal réglementaire européen.
Le règlement sur les services numériques représente l'un des projets législatifs les plus ambitieux de l'Union européenne pour encadrer l'économie numérique. Proposé en décembre 2020 par la Commission européenne, sous l'impulsion de Margrethe Vestager, vice-présidente chargée du numérique, et de Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, ce texte vise à créer un espace numérique plus sûr où les droits fondamentaux des utilisateurs sont protégés.
Le principe fondamental du DSA est simple : ce qui est illégal hors ligne doit être illégal en ligne. La législation impose aux intermédiaires en ligne des obligations graduées selon leur taille et leur impact. Les très grandes plateformes et moteurs de recherche font l'objet d'obligations renforcées, notamment en matière d'évaluation et d'atténuation des risques systémiques qu'ils posent pour la société.
Ces obligations incluent la mise en place de mécanismes permettant aux utilisateurs de signaler facilement les contenus illicites, la transparence sur les algorithmes de recommandation et de modération, l'interdiction de certaines pratiques publicitaires ciblées (notamment celles visant les mineurs), et l'accès aux données pour les chercheurs agréés. Le DSA prévoit également la création d'organismes de règlement extrajudiciaire des litiges (REL) permettant aux utilisateurs de contester les décisions des plateformes concernant leurs contenus ou leurs comptes.
Chaque État membre de l'Union européenne a désigné un coordinateur pour les services numériques (CSN) chargé de surveiller l'application du règlement au niveau national. En France, ce rôle a été confié à l'Arcom par la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN) du 21 mai 2024. Ces 27 coordinateurs nationaux coopèrent au sein d'un comité européen des services numériques qui rend des analyses, mène des enquêtes conjointes et émet des recommandations sur l'application du DSA.
Si 120 millions d'euros représentent une somme considérable, l'impact financier de cette amende reste limité au regard de la fortune colossale d'Elon Musk. En octobre 2025, le milliardaire a franchi le cap historique des 500 milliards de dollars de fortune personnelle, devenant ainsi l'homme le plus riche de l'histoire moderne. Sa richesse repose principalement sur ses participations dans Tesla, SpaceX, xAI et d'autres entreprises technologiques innovantes.
La fortune d'Elon Musk a connu une croissance spectaculaire ces dernières années. En mars 2020, elle s'élevait à 33 milliards de dollars ; elle a depuis été multipliée par plus de 14, atteignant environ 472 milliards de dollars fin octobre 2025 selon diverses estimations. Cette augmentation s'explique par l'envolée boursière de Tesla et la valorisation exceptionnelle de SpaceX, estimée à 400 milliards de dollars.
Dans ce contexte, l'amende de 120 millions d'euros (environ 140 millions de dollars) représente moins de 0,03 % de la fortune personnelle de Musk. Certains observateurs s'interrogent donc sur le caractère véritablement dissuasif de cette sanction pour un homme dont la richesse dépasse le produit intérieur brut de nombreux pays. Toutefois, les autorités européennes soulignent que les enquêtes en cours pourraient aboutir à des sanctions beaucoup plus lourdes, potentiellement chiffrées en milliards d'euros si X persiste dans ses manquements.
Par ailleurs, le rachat de Twitter/X a représenté un investissement hasardeux pour Elon Musk. Selon des rapports de 2024, les 13 milliards de dollars de prêts bancaires contractés pour financer cette acquisition sont devenus la pire opération de fusion-financement pour les banques depuis la crise financière de 2008-2009. Sept banques impliquées, dont Bank of America et Morgan Stanley, peinent à revendre cette dette, l'activité publicitaire de X ayant fortement chuté depuis le rachat.
Au-delà des positions politiques officielles, cette sanction suscite des réactions très diverses au sein de l'écosystème numérique européen. Les associations de défense des droits numériques et de la liberté d'expression saluent généralement cette décision comme une étape nécessaire pour responsabiliser les grandes plateformes, tout en appelant à une vigilance continue pour éviter les dérives autoritaires.
Marietje Schaake, ancienne députée européenne et experte en politique technologique, a qualifié cette décision de question de souveraineté démocratique, soulignant que l'Europe doit pouvoir définir ses propres règles pour protéger ses citoyens sans subir de pressions extérieures. Des chercheurs spécialisés dans l'étude des réseaux sociaux considèrent également que cette sanction était nécessaire face aux transformations controversées opérées par Elon Musk sur la plateforme.
Certains utilisateurs et créateurs de contenu expriment toutefois des inquiétudes quant aux conséquences pratiques de cette régulation. Ils craignent que des obligations trop strictes ne conduisent les plateformes à adopter des politiques de modération excessivement prudentes, supprimant des contenus légitimes par crainte de sanctions. D'autres s'interrogent sur la capacité réelle de l'Union européenne à faire respecter ses décisions face à des entreprises technologiques dont le pouvoir économique et l'influence politique dépassent ceux de nombreux États.
Cette première sanction dans le cadre du DSA s'inscrit dans une longue histoire de régulation européenne des géants technologiques. Depuis plusieurs années, l'Union européenne s'est positionnée comme le régulateur le plus actif au monde en matière de numérique, adoptant successivement le Règlement général sur la protection des données (RGPD) en 2018, le Digital Markets Act (DMA) en 2022, et maintenant le Digital Services Act.
Le DMA, qui complète le DSA, vise spécifiquement les contrôleurs d'accès (gatekeepers) comme Google, Apple, Meta, Amazon ou Microsoft, leur imposant des obligations pour garantir une concurrence équitable sur les marchés numériques. Plusieurs de ces géants ont déjà fait l'objet d'amendes importantes de la part de la Commission européenne ces dernières années, notamment Google qui a écopé de plusieurs milliards d'euros d'amendes pour abus de position dominante.
Parallèlement à la sanction contre X, la Commission européenne a annoncé avoir accepté des engagements de la plateforme chinoise TikTok concernant ses obligations de transparence en matière de publicité. Cette acceptation montre que le dialogue et la coopération entre les plateformes et les régulateurs restent possibles, même si la voie de la sanction demeure nécessaire lorsque les entreprises refusent de se conformer.
La ministre danoise du Numérique, Caroline Stage, qui présidait une réunion des ministres européens compétents le jour de l'annonce, s'est félicitée de constater que la Commission entreprend des actions sérieuses contre les actions qu'elle qualifie d'intolérables de certaines grandes plateformes. Elle a néanmoins appelé à aller plus loin, estimant que la régulation européenne doit continuer à s'adapter aux évolutions technologiques et aux nouveaux défis posés par l'intelligence artificielle, les deepfakes et les manipulations algorithmiques.
Au-delà des aspects techniques et juridiques, la sanction contre X soulève des questions fondamentales sur le rôle des plateformes numériques dans nos démocraties modernes. Ces infrastructures de communication sont devenues des espaces publics essentiels où se forment l'opinion publique, se déroulent les débats politiques et circulent les informations.
La transformation de Twitter en X sous la direction d'Elon Musk illustre les risques associés au contrôle privé de ces espaces publics numériques. Les décisions unilatérales d'un propriétaire, aussi fortuné soit-il, peuvent profondément affecter la qualité du débat public, la circulation de l'information fiable et la protection contre la manipulation. Le changement du système de certification, par exemple, a directement contribué à l'augmentation de la désinformation sur la plateforme, comme l'ont documenté plusieurs études indépendantes.
Les périodes électorales sont particulièrement sensibles à ces enjeux. La Commission européenne a d'ailleurs publié en mars 2024 des lignes directrices spécifiques concernant les mesures d'atténuation des risques pour les processus électoraux. Les plateformes doivent être particulièrement vigilantes pour empêcher les campagnes de manipulation, les interférences étrangères et la diffusion massive de fausses informations susceptibles de fausser le résultat des scrutins.
L'Union européenne considère que la régulation des plateformes numériques n'est pas une atteinte à la liberté d'expression, mais au contraire une garantie pour que cette liberté puisse s'exercer dans un environnement sain, transparent et équitable. Le DSA cherche à instaurer un équilibre délicat entre la protection des utilisateurs, la liberté d'expression, l'innovation technologique et la souveraineté démocratique.
La démarche européenne pourrait inspirer d'autres juridictions à travers le monde. Plusieurs pays observent attentivement l'application du DSA et envisagent d'adopter des législations similaires. L'Australie, le Canada, le Brésil et l'Inde ont déjà mis en place ou préparent des cadres réglementaires visant à mieux encadrer les grandes plateformes numériques.
Cependant, le modèle européen se heurte à des résistances importantes, notamment de la part des États-Unis qui considèrent ces régulations comme une menace pour leurs champions technologiques. Le débat oppose deux visions : celle d'un internet largement autorégulé par les acteurs privés, privilégiée par Washington, et celle d'un internet régulé par des autorités publiques démocratiques pour protéger l'intérêt général, défendue par Bruxelles.
La Chine a développé une troisième voie, celle d'un contrôle étatique strict des plateformes numériques à des fins de surveillance et de censure. Ce modèle autoritaire est rejeté tant par l'Europe que par les États-Unis, malgré leurs divergences sur le niveau de régulation approprié.
L'issue de ces tensions transatlantiques et la capacité de l'Union européenne à faire respecter ses décisions face aux géants américains détermineront largement l'avenir de la gouvernance mondiale du numérique. La sanction contre X constitue un test crucial de la crédibilité et de la détermination européennes dans ce domaine.
La sanction historique de 120 millions d'euros infligée à X par la Commission européenne marque un tournant décisif dans la régulation des plateformes numériques. Pour la première fois, le règlement sur les services numériques n'est plus seulement une menace théorique mais un instrument concret capable d'imposer des changements aux géants de la technologie.
Cette décision envoie un message clair à l'ensemble des plateformes opérant sur le marché européen : les obligations du DSA devront être respectées, sous peine de sanctions financières significatives. Elle démontre également que l'Union européenne est déterminée à défendre son modèle de régulation malgré les pressions politiques et économiques américaines.
Les prochains mois seront déterminants pour évaluer l'efficacité réelle de cette sanction. X se conformera-t-il aux obligations imposées ? Les enquêtes en cours aboutiront-elles à de nouvelles sanctions ? D'autres plateformes seront-elles à leur tour sanctionnées ? Ces questions trouveront progressivement leurs réponses et façonneront l'avenir de l'espace numérique européen.
Au-delà du cas spécifique de X, cette affaire soulève des interrogations fondamentales sur l'équilibre entre innovation technologique, liberté d'expression, protection des utilisateurs et souveraineté démocratique à l'ère numérique. Le modèle européen de régulation, s'il parvient à s'imposer face aux résistances, pourrait devenir une référence mondiale pour concilier ces impératifs souvent contradictoires.
Le DSA est un règlement européen adopté le 19 octobre 2022 qui régule les services numériques pour créer un espace en ligne plus sûr. Entré en vigueur depuis août 2023, il impose aux plateformes des obligations de transparence, de modération des contenus illicites et de protection des utilisateurs. Son principe fondamental : ce qui est illégal hors ligne doit l'être en ligne. Les très grandes plateformes (plus de 45 millions d'utilisateurs dans l'UE) subissent une surveillance renforcée et risquent des amendes jusqu'à 6 % de leur chiffre d'affaires mondial en cas de non-respect.
Les coches bleues sont des badges indiquant qu'un compte a été vérifié. Sur l'ancien Twitter, elles étaient attribuées gratuitement après vérification rigoureuse de l'identité et de la notoriété, permettant d'identifier les comptes officiels. Depuis le rachat par Elon Musk en 2022, n'importe qui peut obtenir une coche bleue en payant un abonnement X Premium (environ 8 euros/mois), sans vérification d'identité. Cette transformation crée une confusion dangereuse : impossible de distinguer les comptes authentiques des simples abonnés payants, favorisant ainsi les escroqueries, usurpations d'identité et la désinformation. L'UE considère ce système trompeur comme une violation du DSA exposant les utilisateurs européens à des risques significatifs.
Le DMA est un règlement européen complémentaire au DSA, adopté en 2022. Le DSA vise la sécurité des utilisateurs et la modération, tandis que le DMA se concentre sur la concurrence équitable. Il cible les "contrôleurs d'accès" (Google, Apple, Meta, Amazon, Microsoft) et leur impose : interopérabilité des services, autorisation d'applications tierces, interdiction de favoriser leurs propres services. Ensemble, DSA et DMA forment le cadre réglementaire européen le plus ambitieux au monde.
Le scraping consiste à collecter automatiquement des informations publiques sur un site via des programmes informatiques. Pour les chercheurs, c'est essentiel pour analyser des volumes importants : tweets, profils, tendances. X interdit cette pratique, obligeant à utiliser des interfaces officielles très restrictives et coûteuses. Cette interdiction empêche la recherche indépendante sur la désinformation et le harcèlement. L'UE considère que cette restriction viole l'article 40 du DSA garantissant l'accès aux données publiques pour chercheurs accrédités.