
L'euro numérique représente l'une des initiatives les plus ambitieuses de la Banque centrale européenne (BCE) pour adapter la monnaie unique à l'ère digitale. Ce projet de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) vise à offrir aux citoyens et entreprises de la zone euro une alternative publique aux moyens de paiement privés qui dominent actuellement le marché européen.
Le 29 octobre 2025, le Conseil des gouverneurs de la BCE a franchi une étape majeure en lançant une nouvelle phase du projet, clôturant ainsi la phase préparatoire débutée en novembre 2023. Cette phase a permis d'établir les fondations techniques et réglementaires essentielles au déploiement futur de cette monnaie digitale.
Si le règlement européen est adopté par le co-législateur en 2026, un projet pilote pourrait être lancé dès mi-2027, avec un déploiement progressif à partir de 2029. Ce calendrier ambitieux témoigne de la volonté européenne d'accélérer la transformation numérique de son système de paiements.
Les réseaux de cartes internationaux représentent 69% des paiements par carte en zone euro au second semestre 2024, illustrant une dépendance préoccupante vis-à-vis d'acteurs non-européens comme Visa et Mastercard. L'euro numérique ambitionne de renforcer l'autonomie stratégique européenne en matière de paiements.
En France, l'utilisation des espèces est passée de 68% des transactions en magasin en 2016 à seulement 42% en 2024. Cette transformation des habitudes de paiement justifie le développement d'une solution publique numérique complémentaire.
L'euro numérique fonctionnerait comme un portefeuille digital géré par les banques commerciales et autres prestataires agréés, permettant aux utilisateurs d'effectuer des paiements instantanés partout dans la zone euro. Le système reposerait sur un partenariat public-privé où la BCE émet la monnaie tandis que les acteurs privés assurent la distribution et la relation client.
Une innovation majeure du projet concerne la possibilité d'effectuer des paiements sans connexion Internet. Cette fonctionnalité garantirait la résilience du système en cas de panne réseau et offrirait un niveau de confidentialité comparable aux espèces physiques.
Les paiements conditionnels, qui s'exécutent automatiquement lorsque certaines conditions prédéfinies sont remplies, ont été identifiés comme un moteur clé d'innovation. Par exemple, les fonds pourraient être versés à un vendeur uniquement après confirmation de livraison par l'acheteur.
La BCE et l'Eurosystème ne seraient pas en mesure d'identifier les utilisateurs ou de savoir ce qu'ils achètent à partir des données de paiement. Cette protection de la vie privée constitue un argument majeur pour convaincre les citoyens d'adopter cette nouvelle monnaie.
Une étude menée auprès de 19 000 personnes dans 11 pays montre que 55% des sondés ne souhaitent pas adopter cette MNBC pour leurs paiements quotidiens. Les citoyens expriment des inquiétudes légitimes concernant la surveillance et le respect de la vie privée.
Des fournisseurs ont été sélectionnés pour contribuer à la mise en place de la plateforme, incluant des entreprises privées et six banques centrales nationales. Des institutions bancaires majeures comme BNP Paribas, Société Générale, HSBC et JPMorgan participent aux expérimentations.
Un projet de recueil de règles définit des normes communes pour garantir que l'euro numérique fonctionnerait de manière cohérente dans l'ensemble de la zone euro, couvrant l'exécution des paiements, la protection des utilisateurs et l'inclusion financière.
Près de 70 intervenants de marché, incluant commerçants, entreprises fintech, start-ups et banques, ont participé à la première itération de la plateforme d'innovation en 2024. Les résultats soulignent le potentiel de l'euro numérique pour stimuler l'innovation et renforcer l'inclusion financière.
La Commission européenne a transmis en juin 2023 une proposition de règlement au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne. Ce texte établit le cadre juridique nécessaire au déploiement de l'euro numérique.
Le Parlement est actuellement dans l'impasse, et en décembre 2024, le rapporteur Stefan Berger a démissionné de son poste. Ces difficultés politiques retardent l'avancement du projet malgré le soutien technique de la BCE.
L'euro numérique ne vise nullement à remplacer les espèces. Les autorités européennes s'engagent à maintenir la disponibilité des billets et pièces. La France investit d'ailleurs plus de 250 millions d'euros dans une nouvelle imprimerie fiduciaire dans le Puy-de-Dôme, démontrant l'engagement durable envers la monnaie physique.
Le membre du directoire de la BCE Piero Cipollone a assuré que l'euro numérique sera rentable pour les prestataires de services de paiement, répondant ainsi aux inquiétudes du secteur bancaire concernant les coûts d'implémentation estimés entre 4 et 5,8 milliards d'euros.
L'euro numérique suscite des craintes parmi une partie de la population européenne. Des fausses informations circulent sur les réseaux sociaux, notamment concernant une prétendue interdiction des espèces ou une surveillance généralisée des transactions.
Contrairement aux cryptoactifs décentralisés, l'euro numérique serait émis et garanti par la BCE, assurant sa stabilité et sa convertibilité en euros physiques à tout moment. Il se distingue également des stablecoins privés adossés au dollar qui gagnent en popularité.
Face au yuan numérique testé par la Chine dans plusieurs grandes villes et aux stablecoins dollar qui prolifèrent, l'Europe cherche à maintenir la souveraineté monétaire et le rôle international de l'euro. Ce contexte de compétition accélère les travaux de la BCE.
Des consultations qualitatives et quantitatives sont prévues auprès de groupes spécifiques comme les petits commerçants et les consommateurs vulnérables. Les résultats, attendus mi-2025, permettront d'affiner la proposition de valeur de l'euro numérique.
La BCE travaille sur la méthodologie de calibrage des limites de détention d'euros numériques. Ces plafonds visent à préserver la stabilité financière en évitant des transferts massifs depuis les dépôts bancaires traditionnels vers les comptes en euros numériques.
De nouvelles phases d'expérimentation sont prévues pour tester les paiements conditionnels et d'autres cas d'usage innovants, en partenariat avec les acteurs du marché. L'interopérabilité avec la plateforme TARGET 2 et les technologies blockchain fait l'objet d'une attention particulière.
L'euro numérique représente bien plus qu'une simple innovation technologique. Il constitue un choix stratégique pour l'autonomie européenne face à la domination des géants américains du paiement et à l'émergence des MNBC étrangères. Si les défis techniques et politiques restent importants, la BCE poursuit méthodiquement ses préparatifs pour un lancement potentiel en 2029.
Le succès de ce projet dépendra de sa capacité à convaincre les citoyens européens de ses avantages en termes de sécurité, de confidentialité et d'utilité pratique. La coexistence harmonieuse avec les espèces et les solutions privées sera également cruciale pour garantir le libre choix des consommateurs.
L'euro numérique est une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) qui serait émise par la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro. Il s'agit d'une forme électronique de l'euro, équivalente aux billets et pièces, mais utilisable uniquement sous forme digitale.
Non, absolument pas. La BCE a clairement indiqué que l'euro numérique coexisterait avec les billets et pièces qui continueront à être produits et distribués. Les autorités européennes préparent même un règlement pour renforcer le cours légal des espèces.
L'euro numérique offrirait plusieurs avantages distincts : d'abord, il réduirait la dépendance européenne vis-à-vis des réseaux de paiement internationaux non-européens comme Visa et Mastercard qui dominent actuellement le marché. Ensuite, il garantirait l'acceptation universelle dans toute la zone euro grâce à son statut de cours légal. Les paiements conditionnels permettraient des innovations comme le versement automatique aux vendeurs après confirmation de livraison, améliorant la protection des consommateurs. La fonctionnalité hors ligne assurerait la résilience du système en cas de panne réseau ou de cyberattaque. Enfin, il pourrait réduire les frais pour les commerçants en stimulant la concurrence avec les solutions privées existantes.
La protection de la vie privée constitue une priorité majeure du projet. La BCE garantit que ni elle ni l'Eurosystème ne pourront identifier les utilisateurs ou connaître leurs habitudes d'achat à partir des données de paiement. La fonctionnalité hors ligne offrira même un niveau de confidentialité comparable aux espèces physiques, puisque les transactions s'effectueront directement entre appareils sans intervention de tiers ni connexion réseau. Seuls les prestataires de services de paiement (banques, fintech) qui gèrent les comptes auront accès aux données de transaction, comme c'est déjà le cas pour les paiements électroniques actuels, et devront respecter les réglementations strictes sur la protection des données personnelles.