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Crise budgétaire : 29 milliards d'euros de déficit menacent la Sécurité sociale

1/12/25

Un avertissement dans un contexte parlementaire tendu

Dans un contexte politique particulièrement instable, Jean-Pierre Farandou, ministre du Travail et des Solidarités, a lancé un avertissement sans précédent concernant les finances de la Sécurité sociale. Lors de son intervention au Sénat le 26 novembre 2025, le ministre a exposé les conséquences dramatiques d'une absence d'adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026.

Selon ses déclarations, le maintien de la trajectoire actuelle sans mesures correctives conduirait inexorablement à un déficit de 29 milliards d'euros, menaçant ainsi la soutenabilité même du système de protection sociale français. Cette projection alarmante intervient alors que le déficit initial prévu dans la version gouvernementale s'élevait à 17,4 milliards d'euros.

Une dégradation progressive des comptes sociaux

L'examen du projet de budget par l'Assemblée nationale a considérablement modifié les équilibres financiers initialement prévus. Jean-Pierre Farandou estime que le déficit pourrait atteindre presque 24 milliards d'euros en 2026, reflétant les difficultés rencontrées pour faire adopter les économies nécessaires.

Le ministre a reconnu les obstacles auxquels le gouvernement fait face : il nous manque beaucoup d'économies que l'on a du mal à faire voter. Cette situation s'explique par l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, obligeant l'exécutif à rechercher des compromis difficiles entre des forces politiques aux positions divergentes.

L'objectif initial du gouvernement était ambitieux : réduire le déficit en le faisant passer de 23 à 17 milliards d'euros. Toutefois, les amendements successifs adoptés par les parlementaires ont progressivement éloigné cette cible.

Les dangers d'une loi spéciale

Face à l'impasse parlementaire, certains évoquent le recours à une loi spéciale qui permettrait de prolonger le budget 2025 en attendant l'adoption d'un nouveau texte. Jean-Pierre Farandou a fermement mis en garde contre cette option. Le gouvernement n'est pas très enclin à aller vers une loi spéciale, a-t-il souligné, en exposant les conséquences concrètes d'un tel scénario.

Sans budget adopté, les conséquences seraient multiples et graves. Les 6,7 milliards d'euros supplémentaires prévus pour les armées ne seraient pas disponibles, les budgets nécessaires pour financer l'organisation des élections municipales feraient défaut, et les emplois prévus pour renforcer les forces de sécurité intérieure dans la lutte contre le narcotrafic ne pourraient être créés.

Pour la Sécurité sociale spécifiquement, l'absence de réforme serait encore plus préoccupante. Une loi spéciale empêcherait toutes les mesures d'économies et de freinage des dépenses inscrites dans le PLFSS 2026. Cette situation poserait les termes d'une crise de trésorerie majeure pour l'avenir du système social.

Un parcours parlementaire chaotique

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 a connu un parcours législatif particulièrement difficile. Déposé le 14 octobre 2025, le texte a été examiné en première lecture par l'Assemblée nationale, où il a fait l'objet de nombreux amendements sans qu'un vote global n'ait pu avoir lieu dans le délai constitutionnel de 20 jours.

Le Sénat a ensuite adopté une version profondément remaniée le 26 novembre 2025, avec 196 voix pour et 119 contre. Les sénateurs ont notamment rétabli la réforme des retraites et le gel des prestations sociales, deux mesures que les députés avaient supprimées.

La commission mixte paritaire réunie le 26 novembre n'a pas permis de parvenir à un accord entre les sept députés et les sept sénateurs. Cet échec, largement prévisible au vu des positions diamétralement opposées des deux chambres, renvoie le texte à l'Assemblée nationale pour une nouvelle lecture à partir du 2 décembre.

Les principaux points de désaccord

Les divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat portent sur plusieurs mesures structurantes du budget de la Sécurité sociale.

La réforme des retraites constitue le point de friction majeur. Les députés avaient voté la suspension de la montée en charge de la réforme de 2023, qui repousse progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Le Sénat a supprimé cette suspension, rétablissant le calendrier initial. Jean-Pierre Farandou avait défendu cette suspension comme une condition pour donner une stabilité politique et économique au pays.

Le gel des prestations sociales représente un autre sujet de discorde. Le gouvernement prévoyait initialement une "année blanche" en 2026, sans revalorisation des prestations sociales et des pensions de retraite. Les députés ont supprimé cette mesure, la jugeant injuste pour les plus précaires. Le Sénat l'a rétablie, tout en prévoyant des exceptions pour l'allocation adultes handicapés (AAH) et les pensions inférieures à 1 400 euros.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) a également été modifié. Les députés ont relevé cet objectif, tandis que les sénateurs ont cherché à le contenir davantage, dans une logique de maîtrise des dépenses de santé.

Les mesures controversées sur l'emploi

Au-delà des grandes orientations budgétaires, plusieurs mesures spécifiques ont cristallisé les oppositions. La suppression de l'exonération de cotisations salariales pour les apprentis, prévue pour les contrats conclus à partir du 1er janvier 2026, a été vivement contestée par de nombreux parlementaires et organisations professionnelles qui y voient une menace pour l'attractivité de l'apprentissage.

Le gouvernement souhaite également réviser le dispositif des ruptures conventionnelles. Jean-Pierre Farandou a rappelé que les allocations chômage versées aux salariés sortant de ruptures conventionnelles représentent un quart des versements. L'exécutif craint une dérive et a proposé aux partenaires sociaux de s'emparer du sujet d'ici la fin de l'année, avec l'objectif de trouver quelques centaines de millions d'euros d'économies.

Le financement structurel en question

Au-delà des enjeux immédiats du budget 2026, la question du financement structurel de la Sécurité sociale est posée avec une acuité nouvelle. Le PLFSS 2026 prévoit une réduction de 3,44 milliards d'euros de la fraction de TVA affectée à la Sécurité sociale par rapport à 2025. Cette décision est critiquée par les syndicats et organisations sociales qui y voient un désengagement de l'État.

Le système de protection sociale français fait face à des défis structurels majeurs : vieillissement démographique, augmentation des pathologies chroniques, évolution des besoins de santé. Ces tendances lourdes nécessitent une réflexion globale sur les ressources pérennes de la Sécurité sociale, au-delà des ajustements annuels.

Un appel à la responsabilité collective

Face à cette situation critique, Jean-Pierre Farandou multiplie les appels à la responsabilité de tous les acteurs politiques. Il estime que quand la copie finale arrivera à l'Assemblée en décembre, tout le monde devra faire un pas vers l'autre, insistant sur la nécessité de dépasser les clivages partisans.

Le ministre exprime sa conviction qu'un chemin reste possible par le dialogue, le consensus et les petits pas. Selon lui, un nombre croissant de parlementaires prennent conscience de l'importance d'aller vers la convergence. Il appelle à un "mariage de devoir" plutôt qu'à un "mariage d'amour", où l'intérêt général et la nécessité de doter le pays d'un budget primeraient sur les intérêts partisans.

Les scénarios possibles

Plusieurs issues sont envisageables pour ce feuilleton budgétaire. L'Assemblée nationale pourrait modifier le texte du Sénat lors de la nouvelle lecture prévue début décembre, en tentant de trouver des compromis acceptables pour une majorité de députés. Le gouvernement pourrait également décider d'engager sa responsabilité en recourant à l'article 49.3 de la Constitution, qui permet d'adopter un texte sans vote, sauf motion de censure.

Cette dernière option est particulièrement risquée dans le contexte politique actuel, où plusieurs groupes parlementaires ont menacé de censurer le gouvernement. Le Premier ministre Sébastien Lecornu a toutefois annoncé qu'il n'y recourrait pas, privilégiant la voie du compromis.

En cas d'échec persistant, le recours aux ordonnances reste théoriquement possible pour le budget de la Sécurité sociale, conformément à l'article 47-1 de la Constitution. Toutefois, cette solution technique ne résoudrait pas les tensions politiques sous-jacentes et pourrait encore fragiliser le gouvernement.

Les enjeux pour le système de santé

Le budget de la Sécurité sociale ne concerne pas seulement les équilibres comptables abstraits. Il détermine directement les moyens alloués au système de santé, aux établissements médico-sociaux, au financement des retraites et aux prestations sociales versées à des millions de Français.

L'ONDAM, qui encadre les dépenses d'assurance maladie, conditionne les investissements hospitaliers, la rémunération des professionnels de santé et l'accès aux soins. Le projet initial prévoyait une progression limitée à 1,6% en 2026, un niveau de contrainte particulièrement strict qui suscite des inquiétudes chez les acteurs de santé.

Pour les retraités, les arbitrages sur l'indexation des pensions ont un impact direct sur leur pouvoir d'achat. Pour les personnes en situation de handicap, les décisions sur l'AAH et les services d'accompagnement déterminent leurs conditions de vie quotidiennes.

Conclusion

La première semaine de décembre 2025 s'annonce cruciale pour l'avenir du budget de la Sécurité sociale et, plus largement, pour la stabilité du gouvernement. L'examen en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale constituera un test majeur de la capacité des forces politiques à trouver des compromis dans un contexte de fragmentation parlementaire inédite.

L'avertissement de Jean-Pierre Farandou sur le risque d'un déficit de 29 milliards d'euros souligne l'urgence de la situation. Au-delà des considérations budgétaires immédiates, c'est la pérennité du modèle social français qui est en jeu. La capacité collective à dépasser les oppositions partisanes pour adopter un budget responsable constituera un indicateur important de la maturité politique du pays face aux défis structurels auxquels il est confronté.

Sources :

Questions fréquentes

Qu'est-ce que le PLFSS ?
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Qui est Jean-Pierre Farandou ?
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Qu'est-ce que l'ONDAM ?
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Pourquoi dit-on que le système de Sécurité sociale est en crise ?
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